Le gouvernement omnipotent

par Ludwig von Mises

En traitant les problèmes de politique sociale et économique, les sciences sociales ne considèrent qu'une question : savoir si les mesures proposées sont de nature à provoquer les effets cherchés par leurs auteurs ou si elles aboutissent à un état de chose qui -du point de vue de leurs défenseurs- est beaucoup plus indésirable que l'état précédent qu'elles se proposaient de modifier. L'économiste ne substitue pas son propre jugement à celui de ses concitoyens au sujet du caractère désirable des fins ultimes. Il se demande simplement si les fins recherchées par les nations, les gouvernements, les partis politiques et l'action des groupes peuvent en fait être atteintes par les méthodes effectivement choisies pour les réaliser.

A coup sur c'est une tache ingrate. La plupart des gens ne tolèrent aucune critique de leurs principes sociaux et économiques. Ils ne comprennent pas que les objections soulevées portent seulement sur des méthodes impropres et ne s'attaquent pas aux fins dernières visées par leurs efforts. Ils ne sont pas disposés à admettre qu'ils pourraient atteindre plus facilement leurs fins en suivant l'avis des économistes qu'en le négligeant. Ils traitent d'ennemi de leur nation, de leur race ou de leur groupe quiconque ose critiquer les politiques qui ont leur préférence.

Ce dogmatisme obstiné et néfaste est l'une des causes qui sont à l'origine de la situation mondiale actuelle. Un économiste qui affirme que des taux de salaire minimum ne constituent pas un moyen approprié pour élever le niveau de vie des salariés ne cherche ni à harceler la main-d'oeuvre ni à nuire aux ouvriers. Au contraire, en proposant des méthodes mieux étudiées pour augmenter le bien-être des salariés, il contribue autant qu'il peut au véritable avènement de leur prospérité.

Souligner les avantages que chacun tire de l'action du capitalisme n'équivaut pas à défendre les intérêts des capitalistes. Un économiste qui depuis 40 ans défend le maintien du système de la propriété privée et de l'entreprise libre ne combat pas pour les intérêt égoïstes de classe de ceux qui étaient alors riches. Il veut que la liberté soit laissée aux inconnus parmi ses contemporains sans le sou qui ont eu l'ingéniosité de créer toutes ces industries nouvelles qui rendent la vie de l'homme moyen beaucoup plus agréable aujourd'hui. Beaucoup de pionniers de ces transformations industrielles sont devenus riches, il est vrai. Mais ils ont acquis leurs richesses en fournissant au public des automobiles, des avions, des postes de radio, des frigidaires, le cinéma parlant, et toute une série d'innovations moins spectaculaires, mais aussi utiles. Ces nouveaux produits n'étaient certainement pas une réalisation des bureaux ni des bureaucrates. Pas un seul perfectionnement technique ne peut être porté au crédit des Soviets. L'humanité n'a pas encore atteint le niveau de la perfection technique. Il y a encore place pour des progrès ultérieurs et une amélioration des niveaux de vie. En dépit de toutes les assertions contraires, l'esprit créateur et inventif subsiste; mais il ne fleurit que là ou la liberté économique existe.

Un économiste qui démontre qu'une nation (appelons là Thulé) va à l'encontre de ses intérêts essentiels dans la conduite de sa politique de commerce extérieur et dans son attitude à l'égard des groupes de sa minorité intérieure, n'est pas un ennemi de Thulé ni de son peuple.

Il est vain de couvrir d'injures les critiques de politiques inappropriées et de jeter la suspicion sur leurs motifs. On peut étouffer ainsi la voix de la vérité, mais on ne peut rendre appropriées des politiques qui ne le sont pas.

Les défenseurs du contrôle totalitaire appellent négativisme l'attitude de leurs adversaires. Ils prétendent que, tandis qu'ils demandent l'amélioration des conditions non satisfaisantes, leurs adversaires ont l'intention de laisser durer le mal. C'est juger toutes les question sociales du point de vue du bureaucrate à l'esprit étroit. Seuls des bureaucrates peuvent préciser que la création de nouveaux services, la promulgation de nouveaux décrets, l'augmentation du nombre des fonctionnaires peuvent seules être considérées comme des mesures positives et profitables, tandis que tout le reste n'est que passivité et quiétisme.

Le programme de la liberté économique n'est pas négatif. Son but absolu est l'établissement et le maintien du système d'économie de marché basé sur la propriété privée des moyens de production et l'entreprise libre. Son but est la libre concurrence et la souveraineté du consommateur. Conséquence logique de ces prémisses, les véritables libéraux sont opposés à tous les efforts faits pour substituer un contrôle étatique à l'action d'une libre économie de marché. Laissez faire, laissez passer ne signifie pas : laissez durer les maux. Au contraire, ces mots signifient : ne pas intervenir dans le jeu du marché parce qu'une telle intervention restreindra nécessairement la production et appauvrira la population. Ils signifient de plus : ne pas abolir ni paralyser le système capitaliste, qui, en dépit de tous les obstacles placés par ces gouvernements et les politiciens, a élevé le niveau de vie des masses, d'une façon sans précédent.

Librairie de Médicis, 1917 (nd)

Mis sur intenet par l'ami du laissez-faire.