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Approche Iconoclaste des Riches

par Olivier Meresse

Rôle social des riches
Altruisme insoupçonné des riches
"Programme politique" des riches


Rôle social des riches

Admettons que la richesse soit l'état caractéristique d' une accumulation de monnaie (ou de biens transformables en monnaie ; à la quelle ils peuvent donc être assimilés malgré leur plus faible liquidité). La richesse ne pourrait être une nuisance en elle-même qu'à la condition que la monnaie en soit une. Un objet donné ne peut changer de nature en fonction de sa quantité que dans la perception que nous en avons, et à la condition que cette nature soit déjà présente dans une portion plus réduite. Rejeter de très grandes quantités de gaz carbonique dans l' atmosphère est indiscutablement nuisible pour le voisinage, tandis que respirer ne l' est pas ; mais nous savons qu'une petite quantité de gaz carbonique peut suffire à asphyxier un hamster, ou qu'il faut aérer de temps en temps nos lieux d'habitation. Or, avec une quelconque quantité donnée de monnaie, il n'est possible de faire que quatre choses différentes : l'investir (pour engendrer de nouvelles richesses), la dépenser (ce qui fait tourner l'économie), la donner (on donne à plus pauvre, rarement à plus riche que soi), enfin l'épargner (pour en différer l'utilisation ou laisser à d'autres le soin de l'investir à sa place). Il n'est sans doute pas nécessaire de s'appesantir davantage sur l'innocuité intrinsèque à ces différentes utilisations de la monnaie, outre le fait qu'il est même difficile de les distinguer précisément entre elles (dépenser, c'est investir dans son plaisir ; l'échange n'est qu'un don mutuel ; le don est à la fois une dépense et un investissement sur l'image que l'on se fait de soi ; l'épargne est un investissement sur sa capacité de dépense à venir, etc.).

Il est pourtant deux types d'utilisations condamnables dans lesquelles la monnaie peut être impliquée : d'une part, lorsqu'elle sert à acheter de la violence (tueur à gages, corruption de fonctionnaires ou d'élus) et d'autre part, lorsqu'elle sert à payer une demande violente (racket, impôt). Mais ce n'est pas la monnaie qui est condamnable, c'est la violence et plus précisément les individus qui l'exercent. D'ailleurs, la corruption ou le racket peuvent aussi bien s'entendre dans un système de troc.

Comme la monnaie n'est pas nocive en elle-même, le riche ne peut pas être présumé nuisible. Est-il utile ?
Oui, et à plus d' un titre. Le progrès est largement dépendant de l'existence de riches. Sans les riches, les marchés ne pourraient pas évoluer. Ils seraient obligés de se révolutionner. Penser qu'il est possible de passer instantanément d'une situation où les orangessont introuvables et mal connues à une situation où elles sont abondantes et bon marché, c'est croire aveuglément aux vertus de la planification soviétique. Penser que c'est souhaitable, c'est vouloir gifler l'humanité.

Ainsi, les oranges, les avocats, le saumon fumé, les chaînes hi-fi, les micro-ordinateurs, les montres à quartz ou les caméscopes nous ont-ils été offerts par les riches. Pour que nous puissions aujourd'hui nous procurer ces produits en contrepartie d'une somme d'argent peu élevée, il a fallu qu'hier des riches les achètent à des prix prohibitoires. Les riches supportent souvent à eux seuls le coût d'innovations dont les pauvres profitent quelque temps après. Les conducteurs pauvres n'ont pas encore droit aux freins ABS, ils laissent aux propriétaires d'Audi, de BMW ou de Mercedes le soin d' investir aujourd'hui pour leur sécurité future. Et beaucoup d' entreprises ne sont même pas conscientes de ce qu'elles doivent aux riches.

Les riches étant par nature minoritaires, ils constituent une cible étroite qu'il est possible de toucher rapidement à travers des circuits réclamant des investissements limités. Il est moins coûteux de s'adresser à quelques riches qu'à tous les pauvres.

Les riches contribuent aussi à diffuser l'information. Chaque fois que nous nous arrêtons devant une vitrine contenant des produits trop chers pour nous, nous profitons d'une information qui n'existerait pas sans les riches. Ces derniers introduisent tout doucement des objets ou des services nouveaux dans notre quotidien. Nous les découvrons parce que nous fréquentons nous-mêmes des riches, parce que nous les voyons faire dans la rue, ou parle biais de la presse, ou encore en nous promenant dans " leurs " magasins. Nous apprenons à connaître ces nouveaux produits, ànous habituer à leur existence, à nous projeter dans leur utilisation ou leur consommation. Avant d'avoir les moyens de l'acheter, nous savons nous servir de tel appareil, nous savons comment porter tel vêtement, comment utiliser tel service. Parce que leurs utilisateurs sont contents, que nous les savons prêts à payer une forte somme pour disposer de certains produits, nous sommes conduits à désirer ces produits pour nous-mêmes. Et nous en tirons souvent une nouvelle motivation dans notre travail. Car beaucoup de gens rêvent d'être riches, et les riches nous prouvent que c'est possible.

Plus encore que des explorateurs, les riches sont des cobayes. Les premiers acheteurs de micro-ordinateurs Macintosh payèrent trente mille francs, il y a neuf ans, un appareil qui tombait facilement en panne, qui disposait de 128kilo-octets de mémoire, d'une vitesse d'horloge très basse, d' une faible rapidité d'accès au rares données, pour lequel quelques logiciels seulement étaient disponibles, dont les périphériques étaient inexistants ou presque. Aujourd'hui, pour moins de cinq mille francs (chiffres 1993), vous obtenez un Macintosh de même volume, plus esthétique, disposant d'un disque dur de 40 mega-octets... Cet exemple nous permet d'embrasser concrètement ce rôle de cobaye. Non seulement les riches financent, mais ils prennent les risques. D'ailleurs, s' il n'y avait la législation et la Sécurité sociale pour freiner le progrès, ce rôle de cobaye pourrait s'entendre dans son sens le plus médical. Le premier cœur artificiel nécessitait un matériel d'environ un mètre cube, sur roulettes, qui étaient attachés au malade et faisait énormément de bruit. Quelques années plus tard, ce matériel était entièrement intégré dans un nouveau cœur artificiel. La médecine à plusieurs vitesses, c'est celle où les riches essaient les nouveautés pour les pauvres. Partout où il y a des progrès à attendre (c'est-à-dire partout), les riches peuvent remplir, volontairement, leur fonction sociale. Tous ces millionnaires qui se tuent dans leurs bateaux off-shore nous préparent des lendemains qui glisseront à toute allure sur les vagues. Et grâce à Michaël Jackson qui claque sa fortune pour souffrir le martyre (il paraît que, depuis la douzième opération, les ailes du nez se décollent à la moindre occasion...), la ménagère moyenne du siècle prochain pourra échanger son enveloppe corporelle contre celle d'un top model.

Heureusement pour nous, les riches sont vigilants. Ils n'achètent pas n'importe quoi. À force d'avancer dans l'inconnu, ils en arrivent à faire très attention, et les marchés luxueux sont parmi les plus difficiles à pénétrer. Car le riche a aussi la fonction d'orienter les marchés. Et cette fonction il la remplit avec application (et toujours sans le savoir, e n ayant la sensation de défendre égoïstementses intérêts propres) . Il est, en effet, plus facile pour un chef d'entreprise de transformer sa production sur de petites séries chères que sur de grandes séries bon marché.

Pour nous résumer : le riche achète très cher des produits dangereux ou risqués, qui sont de mauvaise qualité, dont les performances mal définies sont faibles, et qui exigent de lui un important travail de recherche et d'information. Là où le pauvre, un peu plus tard, dispose de produits bon marché et peu risqués pour lui, de bonne qualité, bien conçu et performants, qui lui tombent " tout mâchés dans la bouche ".

Altruisme insoupçonné des riches

En cette période où certains se gobergent en revendiquant le droit des générations futures, ils auraient tout lieu de s' intéresser davantage au droit des riches de travailler pour l'avenir. Chaque fois qu' un riche ne peut jouer son rôle, pour des raisons fiscales ou réglementaires, des dizaines d'enfants du futur souffrent inutilement (et peut-être même des bébés du futur) . Ô combien de sèche larmes laser, combien de " Safe-Jump-System " disparaissent ainsi chaque jour, engloutis stupidement dans les caisses de l'administration...

Par son obsession maladive de l'enrichissement, le riche se sacrifie littéralement pour les autres. Aussi viles que puissent être les raisons de son enrichissement (volonté d'exciter la jalousie des autres, nécessité d'augmenter un potentiel de séduction jugé trop faible, besoin d'un confort apparemment superflu, petit sexe, incapacité à s' arrêter de travailler...), le riche nous sert. Cet esclave des pauvres ne doit être soigné que s'il en fait la demande, car sa maladie mentale est indispensable au progrès. D'ailleurs, il doit continuer d'ignorer la gravité de son état ; et Si vous connaissez un riche, arrangez-vous pour que ce texte ne tombe pas entre ses mains.

Comme la richesse, la pauvreté est une notion relative. Peu de pauvres sont Si pauvres (en France) qu'ils n'ont ni radio, ni magnétophone. Ce qui nous paraît excessivement banal est un luxe inimaginable Si l'on se réfère à une époque pas Si lointaine où les procédés de restitution sonore n'étaient pas encore inventés. Pour prétendre au même confort que le pauvre d'aujourd'hui, un riche aurait dû posséder une salle de concert avec plusieurs orchestres se relayant pour être toujours prêts à jouer à la perfection un vaste répertoire.
Et c'est parce que, à cette époque et aux précédentes, des riches étaient plus ou moins dans ce délire, que l' invention du magnétophone a été possible et a pu se développer.

Aussi ne sert-il à rien de comparer les millions des uns avec les " SMIC "des autres. Les premiers n'ont pas vocation à se sacrifier pour faire grossir les seconds. Ils ne servent pas les mêmes intérêts et ne travaillent pas pour les mêmes périodes. Comme le temps, l'argent est une valeur variable.

D'ailleurs, à un échelon individuel, les cent premiers francs valent plus que les cent suivants, et les mille premiers beaucoup plus que les mille suivants. Le possesseur d'une Ferrari paye sa voiture vingt fois le prix d'un modèle de base pour aller à peu de choses près à la même vitesse - a fortiori si celle-ci est limitée - avec un niveau de confort très comparable. L'acheteur d'une voiture d'occasion, pour deux à dix fois moins cher, tire des bénéfices très semblables, et l'usager du train peut traverser la France pour le prix d'un pneu neuf.

Bien sûr, aux yeux d'une roller skateuse californienne, le potentiel de séduction d'un propriétaire de Ferrari est plus élevé que celui de l'usager du train. Mais il faut bien qu'il subsiste des raisons d' être riche...

"Programme politique" des riches

C'est son souci du détail qui fait du riche le vecteur idéal d'une politique de relance de l'emploi. Donnez deux mille francs à un pauvre, il ira s'acheter un magnétoscope coréen ; laissez ses cent mille francs au riche, il embauchera un domestique. S'il suffit d'une tondeuse à gazon et d'une heure de jardinage par semaine pour avoir une pelouse bien tondue, il est nécessaire d'avoir une équipe de jardiniers à plein-temps pour que l'herbe soit idéalement verte et bien coupée, même au bord des massifs. De la même manière, une heure de travail doit suffire à usiner un escalier " Lapeyre ", mais combien faut-il d'artisans pour sculpter une pomme d'escalier digne d'un château de Louis Il de Bavière ?

Quand ils ne parlent pas de relancer l'artisanat, les hommes politiques parlent de décentralisation. Là encore, quoi de mieux qu' une kyrielle de bons riches? Le pouvoir risque d'être longtemps encore à Paris tandis que les riches peuvent se recruter partout en France. Le petit village de Cuffy (quelques habitants) a plus de chance de voir ses vieilles pierres nettoyées et ses ruelles fleuries parce qu'un de ses habitants sera devenu milliardaire, ou parce qu'un milliardaire sera tombé amoureux de l'endroit, que parce qu'il aura bénéficié d'un décret parisien ou même nivernais.

Par ses dépenses, le riche contribue à la redistribution des richesses que visent les hommes de l'État, dans leurs discours... Maiscette redistribution est faite sainement, sur la base d'un échange, et non en fonction d'une capacité à remplir des formulaires, certificat d'oisiveté à l'appui. Chaque nuit passée dans un hôtel multi-étoiles par un millionnaire entraîne une redistribution de sa richesse vers les grooms, liftiers et autres soubrettes. La presse s'effraye parfois des prix de ces nuits d'hôtel et du scandale que représente cette dépense tandis que des gens mourraient de faim. Alors que cet argent va justement permettre à beaucoup de gens de manger à leur faim.

Le riche s'enrichit parce qu'il parvient à déterminer avant tout le monde ce que désirent ses contemporains. Il ne peut déterminer cela que par rapport à ses propres attentes ou par rapport aux attentes qu'il aurait s'il était à la place de ses clients. Rien ne nous permet de supposer que cette qualité qu'il possède lorsqu' il produit et vend, il ne l'a plus lorsqu'il achète. Le riche légitimement enrichi donne donc, par ses achats, des orientations d'autant plus pertinentes au marché qu'il fait partie d'une élite en matière de prospective pratique.

Caricaturalement, le cerveau d'un entrepreneur est une œuvre de science-fiction dans laquelle il puise pour proposer des produits sur le marché. Si les produits qu'il met sur le marché, que nous pouvons considérer comme des éléments de cette œuvre de science-fiction, plaisent à d'autres, le marché enrichira son auteur. Ce riche dépensera l'argent ainsi gagné en achetant des produits ou des services également en phase avec cette œuvre de science-fiction, et défrichera par là même un futur apprécié par ses clients.

Les riches remplissent encore un rôle social fondamental en servant de panneaux d'orientation. Si nous apprenons que telle personne qui fabrique du jambon en spray roule en Rolls, nous serons tentés de nous diriger nous aussi vers ce secteur d'avenir. Nous en tirerons donc un bénéfice supérieur à celui que nous aurions obtenus ailleurs, et la multiplication du nombre de producteurs aura parallèlement pour effet defaire baisser le prix du jambon en spray, d'augmenter sa qualité, de diversifier l'offre pour mieux répondre à une demande en hausse.

Nous savons enfin, par les exemples suisse et américain, que les riches donnent souvent énormément d'argent à des fondations charitables. Et ces fondations sont efficaces parce qu'elles dépendent de dons liés à leur efficacité.

Toutes les inégalités naturelles que nous venons de voir, et qui jouent au détriment du riche, sont encore renforcées par le système fiscal. Le riche est par nature minoritaire. Et les hommes de l'Etat font des riches une minorité opprimée.

Mis sur intenet par l'ami du laissez-faire.