NATIONALISATIONS

 

Elles sont un archaïsme, une survivance de l'Ancien Régime, du temps où le roi possédait un domaine qu'il exploitait et dont il était censé tirer ses revenus. Aujourd'hui, hélas, les sociétés nationalisées en France (comme en Grande-Bretagne, en Italie fasciste, en Espagne franquiste, au Portugal socialiste et généralement partout) sont des entreprises déficitaires qui, loin de faire vivre l'Etat, réclament du contribuable un soutien permanent. Elles sont cependant rarement liquidées ou revendues ; en France, la loi même y met des entraves. On soutient en effet que l'Etat, n'étant ni un roi ni un marchand, la justification de ses propriétés n'est pas de lui assurer des dividendes. Quelle est-elle alors ? Le Préambule de la Constitution française de 1946, auquel se réfère explicitement la Constitution de 1958, énonce : " Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. "

Le premier argument serait donc que, dès qu 'un commerce ou une industrie fournissent à " la nation " des prestations jugées indispensables, ils devraient tomber dans le patrimoine de l'Etat. En conséquence, ou bien beaucoup de Français sont actuellement propriétaires d'une entreprise en violation de la Constitution, ou bien la notion de " service public " est totalement arbitraire et irrationnelle, puisqu'elle recouvrirait le gaz mais pas le pain, le transport par voie ferrée mais pas par camion, la télévision mais pas la presse, l'acier mais pas le blé ni la viande, les cigarettes mais pas l'habillement, les mines de charbon mais pas la construction de logements... En tout, les hommes de l'Etat français ont amassé quelque 3.000 entreprises sur le caprice du moment, à différentes périodes de notre histoire, sans qu'elles constituent un portefeuille cohérent et sans assurer au public un service incontestablement plus régulier et meilleur marché.

Si les nationalisations n'ont pas pour objet une politique raisonnée de " service- public ", est-ce la crainte de voir apparaître des monopoles qui les aurait dictées ? Le texte constitutionnel précise bien : " monopole de fait ". Or, sauf quelques cas extrêmes comme la possession d'une oasis isolée en plein désert (et encore, qui songerait à s'y rendre sans garantie d'y boire ?), il n'existe pas de monopole de fait qui pourrait léser le consommateur. En effet, dans une société libre, chacun peut s'essayer à produire ce qu'il veut, même si d'autres entreprises occupent déjà le marché. Si donc un producteur se retrouve seul à livrer un certain bien, c'est qu'il fait preuve d'une telle efficacité qu'aucun entrepreneur ne s'est senti capable de l'émuler. Et ce " monopoleur de fait " doit se garder d'augmenter ses prix ou de dégrader son service pour ne pas ouvrir aussitôt un champ libre à ses concurrents proches ou éloignés. Ainsi l'utilisateur ne peut se plaindre de l'absence de choix : personne ne ferait mieux. Dans la réalité, une telle occurrence est rare. D'abord la levée des restrictions douanières confère aux marchés une telle dimension qu'ils acceptent spontanément plusieurs concurrents. C'est un des arguments forts des libre-échangistes. Ensuite les firmes les mieux gérées, les plus performantes, celles dont le savoir-faire est à même de les mettre en position de monopole, sont de véritables écoles où s'éduquent leurs futurs concurrents. Car si une entreprise détient une position dominante, la tentation est vite irrésistible pour les plus audacieux de ses cadres, à qui elle aura elle-même enseigné ses techniques, de profiter de la plus petite insuffisance - qu'ils seront les premiers à déceler chez elle - pour créer leur propre affaire et l'offrir en alternative au géant.

Le consommateur peut légitimement redouter de voir disparaître la concurrence. Le monopole (c'est-à-dire le monopole d'État) pénalise particulièrement les pauvres qui doivent payer plus cher ses services. Inversement, lorsque nous sommes vendeurs de quelque chose (ou de nos services), rien ne nous paraît plus désirable que d'être en situation de maîtriser le marché. Cependant cette situation n'existe pas naturellement. Un marchand de souricières aimerait bien - mais ne pourra pas empêcher son voisin de proposer un meilleur système (pas plus qu'une jeune amoureuse, quelque fantasme qu'elle en ait, ne pourra faire disparaître les jolies filles des lieux où passe l'homme de sa vie). Chaque industriel, par sa publicité, essaie de faire croire au caractère unique de ses produits, mais qui est dupe ? Ainsi, quand on rencontre un monopole, il résulte d'une contrainte, soit celle du mafioso, que le droit ordinaire suffit à réprouver, soit celle des dirigistes. Elles sont donc totalement inutiles, ces législations complexes que nous connaissons aujourd'hui et qui imposent la survie de producteurs inefficaces, au grand détriment des consommateurs puisque celui qui pourrait faire mieux et moins cher, mais à qui on interdit d'augmenter sa part de marché, va simplement établir ses prix au niveau de son concurrent obligé et moins performant.

Paradoxalement, dès qu'une société est nationalisée, tous ces beaux principes sont jetés aux orties. Le monopole devient vertu, ce qui est d'autant plus facile à réaliser que l'Etat qui en bénéficie est celui qui a le pouvoir légal de l'imposer. En soi, une nationalisation ne serait pas bien grave. Elle représenterait un simple changement d'actionnaires ~ si cet actionnaire-là n'avait pas le pouvoir de tourner en sa faveur les règles du jeu. Un capitaliste privé est toujours au risque de voir surgir un concurrent ; l'Etat est protégé de cet embarras par ses lois. Or en aucun cas la vocation de " service publie " ne peut justifier le monopole. Si un entrepreneur privé peut distribuer l'électricité moins cher qu'EDF, faire rouler des wagons à meilleur compte que la SNCF, acheminer du courrier ou connecter des réseaux téléphoniques plus rapidement que les P et T, en quoi le service du public en souffre-t-il ? Et si on rétorque que ces secteurs ont été nationalisés justement parce que l'initiative privée ne pouvait pas les assurer, n'est-il pas singulier de vouloir interdire aux entrepreneurs ce qu'on leur reproche de ne pas faire assez ?

A ce vain essai de justification qu'apportait aux nationalisations la Constitution de 1946, d'autres arguments sont venus s'ajouter au cours des débats précédant ,-les nationalisations de 1981.

D'abord l'Etat devait se substituer aux actionnaires privés qui " ne jouaient plus leur rôle " : ils n'injectaient plus de capitaux dans ces entreprises. Pour saisir la cocasserie du propos, il faut se souvenir que tous ces groupes industriels (sauf un) perdaient de l'argent. Or si vous devenez actionnaire d'une société, c'est avec l'espoir qu'elle vous paiera des dividendes, pas qu'elle pompera vos économies. Le but ultime d'une entreprise est de réaliser des bénéfices pour ses propriétaires ; elle n'a pas et ne doit pas avoir d'autres raisons d'être. (Et plus elle est grande, plus ce doit être son objectif unique, car sa puissance même deviendrait une menace si elle se mettait à prendre des " responsabilités sociales ", à financer des activités politiques et des groupes de pression. C'est seulement en créant des profits qu'elle prouve son utilité à la communauté puisque cela témoigne qu'elle gère le mieux possible les ressources limitées, les talents des hommes, et qu'elle fournit ses prestations au meilleur prix pour le public).

Parfois il se trouve qu'une entreprise connaisse des difficultés graves. Elles peuvent être dues à des erreurs de gestion, à l'obsolescence de ses produits, à l'agressivité de ses concurrents. Si le capital de cette entreprise est concentré entre quelques associés ou les membres d'une famille, par exemple, ces actionnaires peuvent procéder à un examen en profondeur de la situation. S'ils jugent que des améliorations apportées à l'outil de production sauveront l'entreprise, ils rajouteront du capital. Les grandes sociétés cotées en bourse, comme celles qui ont été nationalisées, sont la propriété de milliers d'actionnaires à qui l'entreprise n'inspire aucun attachement particulier. Quand les affaires sentent la mort, il est inutile de leur tendre la sébile pour de l'argent frais. Ce sont donc des groupes extérieurs qui analyseront à leur place les chances de redressement et qui lanceront une offre de rachat sur le capital s'ils estiment ces chances réelles. Comme rien de tel ne s'est produit avant les nationalisations, il faut en conclure que les industriels avaient raison de ne pas reprendre ces entreprises, que les hommes de l'Etat se sont montrés moins clairvoyants qu'eux. Encore une fois, ceux qui gèrent l'argent des contribuables se sont laissés berner en renflouant des capitalistes en déconfiture.

Le deuxième argument en faveur des nationalisations de 1981 était de créer à partir d'elles le " fer de lance de l'économie ". On peut d'abord douter que des entreprises géantes puissent tenir ce rôle. Il se développe en leur sein -surtout en France, terre des " avantages acquis " une mentalité de bureaucrate, nécrosante, que l'étatisation ne peut que renforcer. Le fer de lance d'une économie est dans sa capacité d'innover et celle-ci ne se décrète pas ; l'étincelle peut jaillir dans le laboratoire d'une multinationale comme dans le garage d'un petit étudiant irrévérencieux. Mais l'Etat a décidé de doper les sociétés qu'il s'est appropriées. Il les abreuve de fonds publics, pour combler leurs pertes d'abord, puis pour financer leurs travaux de recherche, l'investissement dans de nouvelles fabrications, la conquête de nouveaux marchés. C'est l'exemple même d'une insupportable injustice. Car les sociétés concurrentes en mains privées ne bénéficient pas de ces largesses prises sur leurs impôts, les impôts de leurs salariés, ceux de leurs actionnaires et de leurs sous-traitants. Elles sont donc piégées dans une compétition déloyale.

Chaque fois qu'ils collectent l'argent de tous pour le profit de quelques-uns, les hommes de l'Etat manquent à leur mission. L'entreprise nationalisée joue les tricheurs sur le marché, elle truque les mécanismes à son profit. Son objectif n'est pas l'efficacité économique mais l'obéissance à des considérations idéologiques et politiques. Elle doit à la fois manifester la " supériorité " de la production étatisée (le " fer de lance "), tout en maintenant en survie des secteurs dépassés, tout en expérimentant des formules diverses d'" avancées sociales ". Elle est payée pour ça - et cher. L'Etat-client favorise par ses commandes l'Etat-actionnaire (dans les télécommunications, l'informatique, l'électronique). Si le prix de revient de ses entreprises est trop élevé, à cause d'un personnel pléthorique et privilégié, l'Etat-patron fixe carrément les tarifs au-dessous, quitte à éponger les pertes (ainsi la SNCF désorganise la batellerie et les transports routiers, qui n'ont pas le contribuable pour ramasser l'ardoise, et sans égard pour leur personnel qui, lui, n'est pas protégé du chômage).

Sous un régime social-démocrate, les firmes géantes bénéficient en outre d'une grave iniquité : comme le gouvernement se permet d'intervenir dans la vie économique, le public est convaincu qu'il ne laissera jamais faillir l'employeur de milliers d'électeurs, le porte-drapeau d'une industrie. Et cette conviction, bien sûr, est encore mieux ancrée si cette entité est nationalisée. Ainsi ces trusts, même s'ils perdent de l'argent, se font accorder des conditions avantageuses par leurs fournisseurs et peuvent emprunter sans retenue des banques et du public. Comme la quantité de crédit n'est pas illimitée, ce qu'ils reçoivent est pris à des entreprises plus performantes, mais qui souffrent de la tare d'être à la fois petites et privées.

La plus grande malfaisance des nationalisations est cependant encore ailleurs. Elle réside dans cette intervention constante de l'Etat dans la gestion des entreprises. On voit le Président de la République lui-même décider si Saint-Gobain doit rester dans l'électronique, si Usinor doit construire une aciérie électrique ou un train universel... A encourir le jugement de l'opinion publique sur de tels paris, l'Etat n'a rien à gagner. Mais surtout, il n'est pas sain qu'il instille à des ouvriers, des cadres, des ingénieurs, l'idée que non seulement la place de leur pays dans le monde, leur sécurité à l'intérieur des frontières et face à l'extérieur, mais même leur vie professionnelle est liée aux décisions du gouvernement. Big Brother veille. On voit les PDG de groupes employant des dizaines de milliers de Français faire antichambre au ministère où ils viennent mendier des subventions ou prendre leurs instructions. Car ces hommes nommés par le pouvoir politique n'en font pas partie. Ils n'ont donc pas à croire qu'ils savent gérer leur affaire. Seul le Pouvoir est compétent.

Le gouvernement croit en savoir plus long que nous. De cette prétention sans cesse répétée, il tire la légitimité des nationalisations, du Plan, de ces instruments de l'autorité qu'il aspire à exercer sur chacun de nous. On ne voit pas que d'être ministre confère à un monsieur ou une dame une extra-clairvoyance. Mais l'accélération haletante des mutations de notre monde angoisse. Comme ces prêtres antiques qui tiraient leur pouvoir de ce qu'ils affirmaient interpréter les orages, les épidémies et les autres manifestations de la colère des dieux, les hommes politiques jouent de nos frayeurs. A les en croire, ils les dissiperont dès qu'on leur donnera le pouvoir. Commander le développement économique, maîtriser les technologies nouvelles, instaurer la " justice sociale ", ne serait pas impossible pour eux. Ainsi une société qui prétend à l'extrême rationalité secrète un discours politique extrêmement irrationnel. Ceux qui sont au gouvernement ou qui y aspirent, les experts, sont l'objet d'une attente superstitieuse et s'ils n'y répondent pas (comment le pourraient-ils ?), nous mettons au compte de leur mauvais vouloir cette résistance opposée à nos désirs. D'où l'amertume et le dépit de citoyens et d'électeurs, "déçus du socialisme ", " désenchantés de la droite ", comme des enfants gâtés dont le caprice des parents serait de ne pas satisfaire le leur. Nous nous retrouvons, sous la social-démocratie interventionniste plus que sous tout autre système, aliénés par une société dont nous sommes censés tout recevoir sans que nous ayons la faculté de rien choisir, ni rien risquer, ni rien entreprendre.

Donc, dénationaliser. Mais ceux qui le réclament si fort aujourd'hui, n'ont pas même évoqué la question, en 23 ans de gouvernement. C'est leur parti qui inscrivit le principe des nationalisations dans deux Constitutions et qui vota celles, massives, de 1946. Ce serait une remarquable conversion que, revenu aux affaires, il passe à l'acte : le pouvoir ne se défait pas aisément de ce qui le renforce.

Quelques pistes cependant pour une dénationalisation réussie :

D'abord, elle doit être rapide (pour que la volonté politique ne s'émousse pas au contact d'une bureaucratie réticente). Elle doit être la plus large possible (pour ne pas créer d'inégalités entre un secteur rendu à la vie du marché et un autre qui resterait encoconné). Elle doit être sans condition (il ne faut pas attendre, comme les Conservateurs britanniques, que les entreprises déficitaires soient " sorties du rouge ". Quitte à les céder pour 1 F : l'Etat a tout à gagner de laisser aux nouveaux propriétaires le douloureux et inévitable problème de la restructuration).

Rapide et totale, la dénationalisation peut affranchir des forêts, des immeubles, des biens fonciers de toutes sortes, mais aussi les banques, les assurances, les sociétés industrielles, les transports aériens et maritimes, les caisses d'épargne, les télécommunications, les mines, les établissements de santé, l'Aéroport de Paris, ... en même temps que seraient abrogées les lois conférant un privilège restrictif à beaucoup de ces entreprises.

Sans condition mais limitée, la dénationalisation peut toucher d'autres domaines. Ainsi, parce qu'une voie ferrée a le même objet qu'une voie asphaltée, celles de la SNCF pourraient être rattachées, comme les autoroutes, à des sociétés d'économie mixte, tandis que la matériel roulant serait vendu à des entreprises privées, en concurrence pour le transport des passagers et des marchandises, et qui feraient circuler leurs trains moyennant péage. Tout le reste doit retourner au privé qu'il n'aurait jamais dû quitter.

Et de même l'audiovisuel. En vertu de quoi le personnel de l'Etat s'arroge-t-il la propriété exclusive des ondes hertziennes et du câble ? Serait-ce parce que seule la propriété étatique peut garantir un haut niveau culturel ? C'est évidemment faux.

On ne peut pas raisonnablement affirmer n'avoir jamais vu d'oeuvres bâclées, racoleuses et étrangères sur les chaînes d'Etat Ou alors il faudrait conclure que n'importe quel feuilleton sur le " service public ", devient " culturel ", mais programmé par le privé n'est qu'un bas produit commercial.

Est-ce qu'en gardant le monopole les ondes, le personnel de l'Etat pense que son rôle est d'interdire le service audiovisuel qu'il jugerait selon ses critères, abêtissant ? Dans son principe même, tout monopole légalisé est inacceptable. Mais si vraiment celui-là nous " protégeait (!) " de la sottise, il faudrait exiger que l'Etat ne s'en tienne pas à l'audiovisuel. Nous ne voulons pas que l'esprit de notre peuple soit corrompu par la presse, les livres, le cinéma, le théâtre, les disques, la vidéo... Alors toutes les formes' d'expression devraient être censurées par l'étatisation. On voit assez ce qu'il en résulterait.

Reste l'argument massue, repris par le Président Mitterrand lui-même dans un entretien télévisé. L'Etat devrait rester propriétaire des fréquences hertziennes car elles sont en nombre limité. Mais tout l'est dans notre bas inonde : le pétrole, les tableaux de Cézanne, les terres cultivables, l'air que nous respirons... Et si nous suivions cet étrange argument bien dans la vision socialiste du monde, l'Etat devrait devenir propriétaire de tout, en tout cas de tout ce qui s'achète et se vend, puisque, par définition, tout ce qui s'achète et se vend est en quantité limitée.

Il n'y avait aucune raison pour qu'une commission gouvernementale attribue les fréquences FM. Quels qu'ils fussent, ses critères ne pouvaient être qu'arbitraires. Il suffisait de reconnaître à temps aux premiers qui avaient pris le risque d'émettre la pleine propriété de leur fréquence. Les nouveaux venus qui ne trouvaient plus une longueur d'onde disponible auraient dû en acheter une il en va ainsi de tous les biens économiques sur notre terre. Le nombre limité de fréquences ne permet pas à un propriétaire de s'accrocher longtemps à une denrée si rare et si chère s'il ne satisfait pas une véritable audience.

On dit que l'Etat devait mettre de l'ordre sur la bande FM, que la pagaille qui y régnait montrait bien l'incapacité du marché à s'organiser sans lui. Ce qui est vrai. Car la pagaille de la bande FM ne résultait pas du libre marché, mais de l'anarchie. Elle n'était pas causée par la propriété privée, mais par le refus de faire respecter la propriété privée. Les premiers émetteurs étaient brouillés par les nouveaux venus sans pouvoir défendre leurs droits. C'est bien la démonstration que le libre marché est incompatible avec l'anarchie, que les hommes ont besoin d'un gouvernement, mais que la seule fonction de ce gouvernement, dans l'audiovisuel comme ailleurs, est l'application du Droit, pas l'imposition arbitraire de contrôles.

Ces quelques exemples et ceux qui vont suivre veulent montrer que la privatisation peut aller très loin.

Non pas seulement en vue d'une plus grande efficacité de production - l'histoire témoigne que d'avoir eu l'Etat pour actionnaire n'a pas empêché Elf ou les grandes banques d'être des affaires relativement rentables dans un secteur ouvert à la concurrence. Mais précisément, même s'il était démontré qu'une société nationalisée était toujours aussi performante que son homologue privée, ce qui n'est assurément pas le cas, on devrait encore hésiter de confier une entreprise à un propriétaire unique, maître des règles du jeu, inamovible quoiqu'il arrive, et qui poursuit bien d'autres buts que la satisfaction des clients. Les socialistes français disent que nationaliser est un choix de société, et c'est en effet le choix que font les hommes de l'Etat de la société qu'ils veulent.

Dénationaliser doit donc effectuer le mouvement inverse, lorsque la société remet l'Etat à la place qui est la sienne.

La privatisation répond à trois préoccupations :

D'abord, informer. C'est l'objectif le plus important. Que les citoyens sachent ce que coûtent réellement les services qu'ils utilisent.

Or, lorsque les hommes de l'Etat administrent plusieurs activités économiques, comme leur souci n'est pas d'attirer des clients mais des électeurs, comme ils peuvent s'arroger leur petit monopole taillé à leurs mesures, la tentation est irrésistible, par exemple, de rançonner le téléphone au profit de la poste, d'obliger EDF à des constructions pharaoniques de centrales nucléaires ou Air France à des achats d'avions qui ne lui conviennent pas. La propriété privée interdit ces manoeuvres propres à la puissance publique. Elle veut la clarté.

Ensuite, permettre l'initiative, autoriser les citoyens à exercer une influence sur leur destin économique. Si le train ne s'arrête plus à telle ou telle ville, les utilisateurs sauront que ce n'est pas une brimade, une punition politique, mais que plusieurs compagnies, dont c'est pourtant l'intérêt d'assurer des transports par voie ferrée, n'ont pas jugé rentable la desserte de leur ville par ce moyen-là.

Peut-être les habitants voudront réagir. Il ne conviendra plus, comme aux citoyens irresponsables du " libéralisme avancé " et du socialisme à la française, de larmoyer aux portes d'un ministère ou de barrer les routes. La municipalité et ses voisines devront mettre en concurrence les compagnies de chemin de fer, ou susciter la création d'une nouvelle, pour assurer un service local subventionné (et cette subvention ne sera pas noyée dans les finances insondables de l'Etat et de la SNCF, mais bien visible dans les comptes d'une petite ville et d'une société en mains privées où chaque contribuable pourra lire ce que lui coûte le privilège de prendre le train à sa porte).

On veut que le maximum de décisions qui affectent les gens dans leur vie quotidienne ne se prennent plus à Paris dans les ministères, mais sur place. Il faut croire que nous sommes tellement dépendants de l'administration centrale, notre accoutumance est si profonde de toujours tout attendre d'elle, que nous lui demandons - à elle-même ! - de se décentraliser. Or la vraie décentralisation, la seule qui rompe avec la bureaucratie, c'est la privatisation.