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L'analyse de classe selon Marx... et selon l'école autrichienne

par Hans-Hermann Hoppe


Le reproche principal que l'on peut faire aujourd'hui au marxisme c'est d'avoir, par ses erreurs, ses crimes et son effondrement final, presque complètement discrédité une vision conflictuelle de l'histoire sociale et une dénonciation des classes exploiteuses qui seraient pourtant plus pertinentes et plus urgentes que jamais. Cette analyse de classe, cette dénonciation des exploiteurs appartiennent à la tradition de la liberté naturelle. Marx n'a fait que la neutraliser et la pervertir au profit de l'oppression, en l'asservissant à une définition absurde de l'exploitation et à une méprise tragique sur l'identité des exploiteurs et la nature du pillage [F.G.].


Voici ce que j'entends faire dans cet article : tout d'abord, présenter les thèses qui constituent le noyau dur de la théorie marxiste de l'histoire. J'affirme que toutes sont justes pour l'essentiel. Ensuite, je montrerai comment, dans le marxisme, ces conclusions correctes sont déduites d'un point de départ erroné. Enfin, je montrerai comment l'école autrichienne, dans la tradition de von Mises et Rothbard, peut donner une explication correcte, quoique catégoriquement différente, de leur validité.

Commençons par le noyau dur du système marxiste :

- " L'histoire de l'humanité est l'histoire de la lutte des classes. " C'est l'histoire des luttes entre une classe dirigeante relativement restreinte et une classe plus large d'exploités. La première forme d'exploitation est économique :
la classe dirigeante exproprie une partie de la production des exploités ou, comment disent les marxistes, " elle s'approprie un surplus social " et en dispose à ses fins propres de consommation.

- La classe dirigeante est unie par son intérêt commun à maintenir sa position exploiteuse et accroître au maximum son surplus d'exploitation. Elle n'abandonne jamais délibérément son pouvoir ni son revenu d'exploitation. Bien au contraire, on ne peut lui faire perdre pouvoir et revenu, que par la lutte, dont le résultat dépend de la conscience de classe des exploités, c'est-à-dire de la mesure dans laquelle ces exploités sont conscients de leur propre sort et sont consciemment unis avec les autres membres de leur classe dans une opposition commune à leur exploitation.

- La domination de classe se manifeste principalement par des dispositions particulières sur l'affectation des droits de propriété ou, dans la terminologie marxiste, par des " relations de production " particulières. Pour protéger ces dispositions ou relations de production, la classe dirigeante forme et dirige l'Etat comme l'appareil de contrainte et de coercition. L'Etat impose et contribue à reproduire une structure de classe donnée par l'administration d'un système de " justice de classe ", et favorise la création et l'entretien d'une superstructure idéologique destinée à fournir une légitimité au système de domination de classe.

- A l'intérieur, le processus de concurrence au sein de la classe dirigeante engendre la tendance à une concentration et à une centralisation croissantes. Un système polycentrique d'exploitation est progressivement remplacé par un système oligarchique ou monopolistique. De moins en moins de centres d'exploitation demeurent en fonction, et ceux qui restent sont de plus en plus intégrés dans un ordre hiérarchique. A l'extérieur, c'est-à-dire vis-à-vis du système international, ce processus interne de centralisation conduira (avec d'autant plus d'intensité qu'il sera plus avancé) à des guerres impérialistes entre Etats et à l'expansion territoriale de la domination exploiteuse.

- Finalement, la centralisation et l'expansion de la domination exploiteuse se rapprochant progressivement de sa limite ultime de domination mondiale, la domination de classe sera de moins en moins compatible avec le développement et l'amélioration ultérieures des " forces productives ". La stagnation économique et les crises deviennent de plus en plus caractéristiques et créent les " conditions objectives " pour l'émergence d'une conscience de classe révolutionnaire chez les exploités. La situation devient mûre pour l'établissement d'une société sans classes, le " dépérissement de l'Etat ", le remplacement du " gouvernement des hommes par l'administration des choses " (1), et il en résulte une incroyable prospérité.

Toutes ces thèses peuvent faire l'objet d'une justification parfaitement satisfaisante, comme je vais le montrer. Mais malheureusement, c'est le marxisme, lequel souscrit à chacune d'entre elles, qui a plus fait que n'importe quel système idéologique pour les discréditer, en les déduisant d'une théorie de l'exploitation dont l'absurdité est patente. En quoi consiste cette théorie marxiste de l'exploitation ? Pour Marx, des systèmes sociaux précapitalistes tels que l'esclavagisme et la féodalité sont caractérisés par l'exploitation. Jusqu'ici, pas d'objection ; après tout, l'esclave n'est pas un travailleur libre, et on ne peut pas dire qu'il gagne à être réduit en esclavage. Bien au contraire, sa satisfaction en est réduite pour accroître la richesse de son maître. L'intérêt de l'esclave et celui de son maître sont donc, pour dire le moins, antagonistes. Il en est de même des intérêts du seigneur féodal qui exige du paysan un loyer pour la terre que lui-même (le paysan) avait été le premier à mettre en valeur pour son propre compte. [Lorsqu'il a volé sa terre et sa liberté] le gain du seigneur a été la perte du paysan. Et il n'est pas non plus douteux que l'esclavage aussi bien que la féodalité entravent le développement des forces productives. Ni l'esclave ni le serf ne seront aussi productifs qu'ils le seraient en l'absence d'esclavage ou de servage.

Non ; la seule idée nouvelle de Marx est que pour l'essentiel rien ne change pour ce qui est de l'exploitation dans un système capitaliste, c'est-à-dire lorsque l'esclave devient un travailleur libre, ou Si le paysan décide de cultiver une terre qu'un autre a été le premier à mettre en valeur, et paie un loyer [fermage, etc.] en échange du droit de le faire. Il est vrai que Marx, dans le fameux chapitre 24 du premier tome de son Kapital, donne un compterendu de l'apparition du capitalisme qui entend démontrer qu'une grande part, sinon la plupart de la propriété capitaliste initiale résulte du pillage, de l'accaparement des terres et de la conquête. De même, dans le chapitre 25 sur la " théorie moderne du colonialisme ", il souligne lourdement le rôle de la force et de la violence dans l'exportation du capitalisme [vers ce que nous appellerions] le Tiers Monde. On veut bien que tout cela soit grosso modo exact, et dans la mesure où ça l'est, on ne cherchera pas querelle à quiconque appellerait " exploiteur " ce capitalisme là (2). Cependant, on doit rester conscient du fait qu'ici, Marx se livre à une manipulation. En se lançant dans toutes ces recherches historiques pour exciter l'indignation du lecteur sur les brutalités commises à constituer la plupart des fortunes capitalistes, il esquive en réalité la question qui fait l'objet du débat. Il détourne notre attention du fait que sa thèse est essentiellement différente, à savoir que même Si nous avions un capitalisme " propre ", c'est-à-dire un capitalisme dans lequel l'appropriation originelle du capital ne résulterait de rien d'autre que de la première mise en valeur, du travail et de l'épargne, le capitaliste qui engagerait des travailleurs avec ce capital là n'en serait pas moins un exploiteur. En fait, Marx considérait même sa démonstration de cette thèse comme sa contribution la plus importante à l'analyse économique. Quelle est donc sa fameuse démonstration du caractère exploiteur d'un capitalisme propre ?

Elle consiste à observer que les prix des facteurs de production, et notamment les salaires payés aux travailleurs par les capitalistes, sont plus faibles que les prix des produits vendus. Le travailleur, par exemple, touche un salaire représentant des biens de consommation qui peuvent être produits en trois jours, mais travaille en fait cinq jours pour ce salaire là, et produit donc en biens de consommation davantage qu'il ne reçoit comme rémunération. La production de ces deux jours supplémentaires, la plus-value en termes marxistes, est appropriée par le capitaliste (3). Par conséquent, prétend Marx, il y a exploitation.

Qu'est-ce qui cloche dans cette analyse ? La réponse devient évidente, une fois qu'on s'est demandé pourquoi le travailleur accepterait jamais un tel échange. Il accepte parce que son salaire représente des produits actuels - alors que les services de son travail ne représentent que des produits futurs, et qu'il donne plus de valeur aux biens présents. Après tout, il pourrait aussi décider de ne pas vendre les services de son travail au capitaliste et récupérer lui-même la " valeur totale " de son produit. Mais cela impliquerait bien sûr qu'il attende plus longtemps que les produits de consommation lui deviennent accessibles. En vendant les services de son travail, il démontre qu'il préfère recevoir moins de produits de consommation aujourd'hui à en avoir éventuellement davantage demain. De son côté, pourquoi le capitaliste est-il d'accord pour faire affaire avec le travailleur ? Pourquoi accepte-t-il d'avancer des produits actuels (de l'argent) au travailleur en échange de services qui ne rapporteront que plus tard? A l'évidence, il ne voudrait pas payer aujourd'hui l 000 F s'il ne devait recevoir la même somme que dans un an. Dans ce cas, pourquoi ne pas garder les l 000 F et avoir en plus l'avantage de l'avoir à portée pendant une année entière ? Non, il faut qu'il puisse s'attendre à recevoir davantage que les l 000 F à l'avenir s'il doit les abandonner maintenant au travailleur. Il faut qu'il puisse faire un bénéfice, ou plus exactement recevoir un revenu d'intérêt. D'ailleurs il est aussi contraint d'une autre manière par la préférence temporelle, par le fait que celui qui agit préfère toujours une satisfaction immédiate à une même satisfaction dans l'avenir. Car Si l'on peut obtenir une somme plus importante dans l'avenir quand on l'abandonne maintenant, pourquoi n'épargne-t-il pas davantage qu'il ne le fait? Pourquoi n'embauche-t-il pas davantage de travailleurs, Si chacun d'entre eux lui promet un revenu d'intérêt supplémentaire ? La réponse, ici, est aussi évidente : parce que le capitaliste est aussi consommateur, et qu'il ne peut éviter de l'être. Le montant de son épargne et de ses investissements est limité par ce fait nécessaire que lui aussi, comme le travailleur, a besoin d'une fourniture de produits actuels " assez grande pour assurer la satisfaction des besoins dont la satisfaction pendant l'attente est jugée plus urgente que les avantages qu'apporterait un allongement supplémentaire de la période de production ".

Ce qui ne va pas. par conséquent, dans la théorie marxiste de l'exploitation est que celle-ci ne reconnaît pas le phénomène de la préférence temporelle comme catégorie universelle de l'action humaine. Que le travailleur ne reçoive pas la " valeur totale " de son travail n'a rien à voir avec de l'exploitation mais reflète seulement le fait qu'il est impossible à un homme d'échanger des biens futurs contre des biens présents sans payer un escompte. Contrairement à la situation de l'esclave et du maître où le second exploite le premier, la relation entre le travailleur libre et le capitaliste est avantageuse pour les deux parties. Le travailleur entre dans l'accord parce que, étant donné sa préférence temporelle, il préfère moins de biens tout de suite à davantage plus tard ; et le capitaliste le fait parce que, étant donné sa préférence temporelle, il a un ordre de préférences inverse, qui place un plus grand volume de biens futurs au-dessus d'un plus petit maintenant. Leurs intérêts ne sont pas antagonistes mais harmonieux. Si le capitaliste n'attendait pas de revenu d'intérêt, le travailleur s'en trouverait plus mal, devant attendre plus longtemps qu'il ne souhaite attendre (4). Et on ne peut pas non plus, comme Marx le fait, considérer le système salarial du capitalisme comme une entrave au développement ultérieur des forces productives. Si on ne permettait pas au travailleur de vendre ses services ni au capitaliste de les acheter, la production ne serait pas plus accrue mais amoindrie, parce qu'elle devrait se contenter d'un moindre capital accumulé.

Toujours contrairement aux proclamations de Marx, le développement de ces fameuses forces productives n'atteindrait pas de nouveaux sommets dans un système de production socialisée, mais s'effondrerait spectaculairement. Car il est évident que le capital doit être créé à des endroits et à des moments déterminés, et par la première mise en valeur, par la production et l'épargne d'individus particuliers. Dans tous les cas, il est accumulé dans l'espoir qu'il amènera un accroissement dans la production de biens et services à venir. La valeur attachée à son capital par quelqu'un qui agit reflète la valeur qu'il attribue à l'ensemble des revenus qu'il peut attendre de sa coopération, escomptée par son taux de préférence temporelle. Si, comme c'est le cas de la possession collective des facteurs de production, un décideur n'a plus la maîtrise exclusive de son capital accumulé ni par conséquent des revenus futurs de son emploi ; si au contraire on permet à des non-producteurs (au titre de la première mise en valeur ou de productions ultérieures) et à des non-épargnants d'en disposer partiellement, cela réduira automatiquement la valeur pour lui des revenus futurs et donc des capitaux matériels. La période de production, le caractère indirect de la structure de production, seront forcément raccourcis, et l'appauvrissement doit nécessairement en résulter.

Si la théorie de l'exploitation de Marx et ses idées sur la manière de mettre fin à l'exploitation et de faire régner la prospérité universelle sont fausses au point d'en être ridicules, il est clair que toute théorie de l'histoire qui en serait déduite doit être également fausse. Ou alors, Si elle est juste, il faut qu'on l'en ait faussement déduite. Au lieu de m'astreindre à une laborieuse explication de toutes les fautes de raisonnement de l'argument marxiste, de son point de départ erroné à la théorie de l'histoire que j'ai présentée au début - comme correcte - je vais prendre un raccourci. Je vais commencer par présenter, le plus rapidement possible, la théorie correcte de l'exploitation, c'est-à-dire la théorie autrichienne, celle de von Mises et de Rothbard ; je ferai une brève esquisse des justifications qu'elle donne à la théorie historique de la lutte des classes ; et au passage, je soulignerai aussi bien des différences essentielles entre la théorie autrichienne et la théorie marxiste que certaines affinités entre elles, issues de leur conviction commune que l'exploitation, la classe exploiteuse, ça existe bel et bien.

Le point de départ de l'analyse autrichienne de l'exploitation, comme il se doit, est simple et clair. En fait, on l'a déjà établi au cours de l'analyse de la théorie marxiste : l'exploitation caractérisait bel et bien la relation entre l'esclave et son maître ainsi qu'entre le serf et le seigneur féodal. Mais on n'a trouvé aucune exploitation possible dans le capitalisme propre. Quelle est la différence de principe entre les deux cas ? La réponse est : la reconnaissance ou non du principe du Droit de la première mise en valeur. Le paysan féodal est exploité parce qu'il n'a pas la maîtrise exclusive de la terre qu'il avait été le premier à mettre en valeur, et l'esclave n'est pas maître de son propre corps dont il était (c'est le cas de le dire) le premier occupant. Si, à l'inverse, chacun a la maîtrise exclusive de son propre corps (c'est-à-dire s'il est un travailleur libre) et agit en respectant le Droit du premier utilisateur, alors il ne peut pas y avoir d'exploitation. Il est logiquement absurde de prétendre que celui qui s'empare d'objets qui n'appartiennent encore à personne, ou qui emploie ces biens à des productions futures, ou épargne des biens ainsi appropriés ou produits pour accroître la disponibilité à venir des produits, pourrait exploiter qui que ce soit en le faisant. Personne n'a rien pris à personne au cours de ce processus, et on y a même produit davantage de biens. Et il serait également absurde de prétendre qu'un accord entre différents propriétaires initiaux, épargnants et producteurs quant à l'usage de leurs biens ainsi appropriés sans exploitation pourrait impliquer une injustice quelconque dans ce cas. Bien au contraire, c'est lorsqu'un écart, quel qu'il soit, se produit par rapport au principe de la première mise en valeur que l'exploitation a lieu. C'est de l'exploitation lorsqu'une personne fait prévaloir ses prétentions à une maîtrise totale ou partielle de biens qu'elle n'a pas été la première à mettre en valeur, qu'elle n'a pas produits, ou qu'elle n'a pas acquis par contrat auprès d'un producteur-propriétaire antérieur. L'exploitation, c'est l'expropriation des premiers utilisateurs, producteurs et épargnants par des non-premiers utilisateurs, des non-producteurs, des non-épargnants arrivés par la suite. C'est l'expropriation de gens dont les prétentions sur leur propriété se fondent sur le travail et le contrat par des gens dont les prétentions sortent on ne sait d'où, et qui ne tiennent absolument aucun compte du travail et des contrats des autres.

Inutile de dire que l'exploitation ainsi définie est partie intégrante de l'histoire humaine. Il y a deux manières de s'enrichir : ou bien on met en valeur des ressources inutilisées, on produit, épargne, passe des contrats, ou bien alors on exproprie ceux qui ont mis en valeur, produit, épargné et passé des contrats. Il y a toujours eu, à côté de la mise en valeur, de la production, de l'épargne, des acquisitions de propriété non productives et non contractuelles. Et au cours de l'évolution économique, tout comme les producteurs et les contractants peuvent se constituer en sociétés, en entreprises, en associations, les exploiteurs peuvent se combiner pour former des entreprises d'exploitation à grande échelle, Etats et gouvernements. La classe dirigeante (laquelle, encore une fois, peut être hiérarchisée) est au départ composée des membres de ces entreprises d'exploitation. De sorte qu'avec une classe dirigeante installée sur un territoire donné et se livrant à l'exploitation des ressources économiques d'une classe de producteurs exploités, le centre de toute histoire devient bel et bien la lutte entre exploiteurs et exploités. Alors, l'histoire, pertinente, est essentiellement celle des victoires et des défaites des maîtres dans leurs tentatives pour accroître au maximum leur revenu d'exploiteurs et celle des sujets dans leurs tentatives pour freiner et inverser cette tendance. C'est sur cette évaluation de l'histoire que les Marxistes et les Autrichiens tombent d'accord, et c'est pourquoi il existe une affinité remarquable entre les recherches historiques de l'une et l'autre école. L'une et l'autre s'opposent à une historiographie qui ne reconnaît qu'actions et interactions, toutes traitées sur un pied d'égalité moral ou économique ; et les deux s'opposent également à une historiographie pour qui, en lieu et place de cette neutralité, il conviendrait de rehausser son récit par des jugements de valeur purement subjectifs. Non : il faut raconter l'histoire en termes de liberté et d'exploitation, de parasitisme et d'appauvrissement, de propriété privée et de sa destruction. Sinon, on la présente faussement.

Alors que les entreprises productrices apparaissent et disparaissent pour cause de soutien volontaire ou de son absence, une classe dirigeante n arrive jamais au pouvoir parce qu'il existerait une demande pour ses services, et elle n'abdique pas non plus lorsqu'il est visible que l'on souhaite son abdication. C'est vraiment trop en demander à l'imagination que de prétendre que les premiers utilisateurs, producteurs, parties aux contrats, auraient exigé qu'on les exproprie. On doit les forcer à s'y résigner, et cela prouve de manière définitive qu'il n'existait aucune demande pour cela. On ne peut pas dire non plus qu'il soit possible de jeter à bas une classe dirigeante en s'abstenant de toute transaction avec elle, comme on réduit à la faillite une entreprise productive. C'est de transactions non productives et non contractuelles que la classe dirigeante tient son revenu, et aucun boycott ne peut l'affecter. Bien plutôt, ce qui rend possible l'émergence d'une entreprise d'exploitation, et ce qui à l'inverse peut l'abattre, est un état particulier de l'opinion publique ou, en terminologie marxiste, un état particulier de la conscience de classe.

Un exploiteur fait des victimes, et les victimes sont des ennemis potentiels. Il est envisageable que cette résistance puisse être durablement brisée par la force dans le cas d'un groupe d'hommes en exploitant un autre de taille à peu près semblable. En revanche, il faut bien davantage que la force pour développer l'exploitation d'une population plusieurs fois plus nombreuse. Pour y parvenir, l'entreprise doit avoir le soutien de l'opinion. Il faut qu'une majorité de la population accepte comme légitimes les actes qui assurent l'exploitation. Cette acceptation peut osciller entre l'enthousiasme actif et la résignation passive. Mais il doit s'agir d'acceptation, en ce sens que la majorité doit avoir abandonné l'idée de résister activement ou passivement à toute tentative pour imposer des acquisitions de propriété non productives et non contractuelles. La conscience de classe doit être faible, sous-développée, floue. Ce n'est que Si cet état de choses se maintient qu'une entreprise d'exploitation peut prospérer alors même que personne n'en a besoin. Le pouvoir de la classe dirigeante ne peut être brisé que Si, et dans la mesure où, exploités et expropriés acquièrent une idée claire de leur propre état, et s'unissent à d'autres membres de leur classe dans un mouvement idéologique qui traduit l'idée d'une société sans classes où toute exploitation est abolie. Ce n'est que Si, et dans la mesure où, la majorité du public exploité s'intègre consciemment dans un tel mouvement, et Si tous s'indignent des acquisitions de propriété non productives et non contractuelles, affichent leur mépris envers quiconque se livre à de tels actes, et refuse délibérément de contribuer en rien à leurs entreprises, qu'on peut amener ce pouvoir à s'effondrer.

L'abolition progressive de la domination féodale et absolutiste, l'apparition de sociétés de plus en plus capitalistes en Europe occidentale et aux Etats-Unis, et en conséquence un développement inouï de la production et de la population, cette abolition avait été le résultat d'une prise de conscience accrue de la part des exploités, soudés ensemble par l'idéologie libérale des droits naturels. Jusqu'ici, Marxistes et Autrichiens sont d'accord. Là où ils ne le sont pas, en revanche, c'est sur le jugement porté sur ce qui suit : à la suite d'une dégradation de la conscience de classe, le processus de libéralisation s'est inversé, le niveau d'exploitation s'accroissant sans cesse dans ces sociétés depuis le dernier tiers du XIXé siècle, particulièrement depuis la Première Guerre mondiale. En fait, pour les Autrichiens, le marxisme porte une grande part de responsabilité de cette dégradation, en faisant perdre de vue la conception correcte de l'exploitation, celle dont les propriétaires initiaux, producteurs, parties aux contrats sont victimes de la part de ceux qui n'ont rien produit ni passé aucun contrat, et mettant en avant, dans la pire confusion, la fausse opposition du capitaliste et du salarié.

L'institution d'une classe dirigeante sur une classe exploitée plusieurs fois plus nombreuse par la violence et la manipulation de l'opinion publique, c'est-à-dire un niveau faible de conscience de classe chez les exploités, trouve son expression institutionnelle la plus fondamentale dans la création d'un système de " droit public " surimposé au droit privé. La classe dirigeante se met elle-même à part et protège sa situation dominante en adoptant une constitution pour le fonctionnement interne de son entreprise. D'un certain côté, en formalisant le fonctionnement interne de l'Etat de même que ses relations avec la population exploitée, une constitution crée un certain degré de stabilité juridique. Plus on incorpore de notions familières et populaires du droit privé dans le " droit " public et constitutionnel, et plus cela contribuera à créer les conditions d'une opinion publique favorable. En revanche, toute constitution ou " droit " public formalise en même temps le statut d'exemption de la classe dirigeante en ce qui concerne le principe de l'appropriation non agressive. Ils rationalisent le " droit " des représentants de l'Etat de se livrer à des acquisitions de propriété non contractuelles et non productives et la subordination finale du droit privé au " droit " public. Une justice de classe, c'est-à-dire un dualisme qui institue un ensemble de lois pour les dirigeants et un autre pour les dirigés, finit par marquer ce dualisme entre " droits " public et privé, cette domination et cette infiltration du droit privé par le " droit " public. Ce n'est pas comme le croient les Marxistes, parce que les droits de propriété sont reconnus par la loi qu'il y a une justice de classe. Bien au contraire, la justice de classe apparaît chaque fois qu'il existe une distinction légale entre une classe de personnes agissant selon le " droit " public et protégée par lui et une autre classe agissant selon une sorte de droit privé subordonné censé la protéger. Plus particulièrement, donc, la proposition fondamentale de la théorie marxiste de l'Etat (entre autres), est fausse. L'État n'est pas exploiteur parce qu'il protège les droits de propriété des capitalistes mais parce qu'il est lui-même exempt de la contrainte d'avoir à acquérir sa propriété par la production et le contrat.

En dépit de cette méprise fondamentale, cependant, le marxisme, parce qu'il interprète à juste titre l'État comme exploiteur (contrairement, par exemple, à l'école des choix publics, qui a tendance à le donner pour une entreprise comme les autres), a bien compris certains principes fondamentaux de son fonctionnement. Pour commencer, il reconnaît la fonction stratégique des politiques redistributives de l'Etat En tant qu'entreprise exploiteuse, l'Etat est à tout moment intéressé à ce qu'un bas niveau de conscience de classe règne parmi ses sujets. La redistribution de la propriété et du revenu - une politique du " diviser pour régner " - est le moyen que l'Etat utilise pour jeter des pommes de discorde au sein de la société et détruire la formation d'une conscience de classe unificatrice chez les exploités. En outre, la redistribution du pouvoir d'État lui-même en démocratisant la constitution de l'Etat, en ouvrant à tout le monde des positions de pouvoir et en donnant à tout le monde le droit de participer au choix du personnel et de la politique de l'Etat, est un moyen de réduire la résistance à l'exploitation en tant que telle. Deuxièmement, l'Etat est bel et bien, comme les Marxistes le conçoivent, le grand centre de la propagande et de la mystification idéologique : l'exploitation, c'est la liberté ; les impôts sont des contributions volontaires ; les relations non contractuelles sont " conceptuellement " contractuelles ; personne ne commande à personne, nous nous dirigeons nous-mêmes ; sans l'État il n'y aurait ni droit ni sécurité ; et les pauvres mourraient de faim, etc. Tout cela appartient à la superstructure idéologique qui vise à légitimer une infrastructure d'exploitation économique. Et finalement, les Marxistes ont aussi raison d'identifier une étroite association entre l'État et les capitalistes, et plus particulièrement la haute finance - même Si l'explication qu'ils en donnent est indéfendable. La raison n'en est pas que l'établissement bourgeois considère l'Etat et le soutient comme garant des droits de propriété et du contractualisme. Bien au contraire, il le considère à juste titre comme l'antithèse même de la propriété privée (qu'il est bel et bien) et c'est bien pour cette raison qu'il s'y intéresse de très près. Plus une affaire réussit, et plus grand est le danger qu'elle soit exploitée par l'Etat, mais aussi plus grands sont les gains potentiels à réaliser Si elle peut se faire accorder par l'Etat une protection particulière qui l'exempte partiellement de la contrainte de la concurrence capitaliste. C'est pourquoi l'établissement capitaliste s'intéresse à l'Etat et souhaite l'infiltrer. De son côté, l'élite dirigeante s'intéresse à une coopération étroite avec l'établissement capitaliste à cause de son pouvoir financier. En particulier, la haute finance présente un intérêt, parce qu'en tant qu'entreprise d'exploitation, l'Etat désire naturellement posséder une autonomie complète pour faire de la fausse monnaie. En offrant d'associer l'élite bancaire à ses propres projets de faux-monnayeur, et en leur permettant de profiter de la contrefaçon à partir de ses billets de la Sainte Farce dans le système bancaire à couverture partielle (5), l'Etat peut facilement atteindre ce but et instituer un système de monopole d'émission monétaire et de cartel bancaire dirigé par la banque centrale. De sorte que, à travers cette complicité directe dans la production de fausse monnaie avec le système bancaire et, par extension, avec les plus gros clients des dites banques, la classe dirigeante s'étend en fait bien au-delà de l'appareil d'Etat, jusqu'aux centres nerveux de la société civile - ce qui n'est pas très différent, en apparence, de la peinture que les Marxistes prétendent faire de la coopération entre la banque, les élites capitalistes et l'Etat.

La concurrence au sein de la classe dirigeante et entre les différentes classes dirigeantes produit une tendance à la concentration croissante. En cela, le marxisme a raison. Cependant, sa fausse théorie de l'exploitation le conduit encore une fois à en voir la cause là où elle ne se trouve pas. Le marxisme croit que cette tendance est inhérente à la concurrence capitaliste. Or, c'est justement lorsque les gens pratiquent le capitalisme propre que la concurrence n'est pas une forme d'interaction à somme nulle. Le premier utilisateur, le producteur, épargnant, partie aux contrats ne profitent jamais aux dépens les uns des autres. Ou bien leurs gains laissent les possessions matérielles des autres complètement intactes ou bien (comme dans le cas de tous les échanges contractuels) ils impliquent en fait un profit pour les deux parties. C'est ainsi que le capitalisme peut justifier des accroissements de richesse absolus. Mais dans son système, il est impossible de prétendre qu'il existe une quelconque tendance systématique à la concentration. En revanche, les interactions à somme nulle caractérisent non seulement les relations entre les maîtres et les sujets, mais entre les exploiteurs rivaux eux-mêmes. L'exploitation, définie comme des acquisitions de propriété non productives et non contractuelles, ne peut exister que là où il y a quelque chose à exproprier. A l'évidence, Si la concurrence était libre dans le business de l'exploitation, il ne resterait évidemment plus rien à exproprier. De sorte que l'exploitation nécessite un monopole sur un territoire et une population donnés ; et la concurrence entre les exploiteurs est par sa nature même éliminatoire, et doit amener une tendance à la concentration des entreprises exploiteuses de même qu'à la centralisation au sein de chaque entreprise. L'évolution des Etats, par opposition à celle des entreprises capitalistes, fournit l'illustration la plus évidente de cette tendance : il existe aujourd'hui un bien plus petit nombre d'Etats, qui contrôlent et exploitent de bien plus vastes territoires qu'au cours des siècles passés. Et au sein de chaque appareil d'Etat, il y avait une tendance de fait à l'accroissement des pouvoirs de l'État central aux dépens de ses subdivisions locales et régionales. Cependant, et pour la même raison, on a aussi pu observer une tendance à la concentration relative en dehors de l'appareil d'Etat. Ce n'est pas, comme on devrait le comprendre sans peine désormais, à cause d'un trait inhérent au capitalisme, mais parce que la classe dirigeante a étendu son emprise jusqu'au coeur de la société civile par la création d'une alliance entre l'Etat et la haute finance, et notamment l'institution d'un système de banque centrale. S'il se produit une concentration et une centralisation du pouvoir d'Etat, il est tout naturel que celles-ci s'accompagnent d'un processus parallèle de concentration relative et de cartellisation de la banque et de l'industrie. Avec l'accroissement des pouvoirs de l'État, s'accroît également celui de la Banque et de l'industrie associées d'éliminer ou de défavoriser leurs concurrents économiques au moyen d'expropriations non contractuelles et non productives. La concentration des entreprises est un reflet de l'étatisation de la vie économique.

Les premiers moyens de l'expansion du pouvoir d'État et de l'élimination des centres de pouvoir rivaux sont la guerre et la domination militaire. La concurrence entre les Etats implique une tendance à la guerre et à l'impérialisme. En tant que centres d'exploitation, leurs intérêts sont par nature antagonistes. En outre, comme chacune possède - à l'intérieur - le contrôle du fisc et de la production de la fausse monnaie, il est possible aux classes dirigeantes de faire financer leurs guerres impérialistes par les autres. Naturellement, Si on ne doit pas financer soi-même les paris risqués que l'on prend, Si on peut forcer les autres à payer les pots cassés, on a tendance à prendre un peu de risques et à devenir un peu plus amoureux de la gâchette que Si on ne le pouvait pas. Le marxisme, contrairement à une bonne partie de la science dite bourgeoise, présente les choses telles qu'elles sont : il existe bel et bien une tendance à l'impérialisme à l'oeuvre dans l'histoire ; et les plus grandes puissances impérialistes sont bel et bien les pays capitalistes les plus avancés. Et pourtant, l'explication est une fois de plus erronée. C'est l'Etat, en tant qu'institution exempte des règles capitalistes d'acquisition de la propriété qui est par nature agressif. Et l'évidence historique d'une corrélation étroite entre le capitalisme et l'impérialisme ne contredit cette explication qu'en apparence. Il est extrêmement facile de l'expliquer en rappelant que, pour se tirer avec succès d'une guerre entre Etats, un gouvernement doit pouvoir disposer (en termes relatifs) de ressources suffisantes. Toutes choses égales par ailleurs, c'est l'Etat qui a le plus de ressources qui l'emportera. En tant qu'entreprise exploiteuse, l'Etat est par nature destructeur de richesse et de capital. La richesse est produite exclusivement par la société civile ; et plus faibles sont les pouvoirs d'extorsion de l'Etat, plus la société accumule de richesses et de capital productif. Ainsi, aussi paradoxalement que cela puisse paraître d'abord, plus un Etat est faible ou libéral et plus le capitalisme y est développé ; une économie capitaliste à piller rend l'Etat plus riche ; et un Etat plus riche permet de plus en plus de guerres expansionnistes menées avec succès. C'est cette relation-là qui explique pourquoi ce sont au départ les Etats d'Europe occidentale, et en particulier la Grande-Bretagne, qui furent les pays impérialistes dominants, et pourquoi au XXé siècle ce rôle a été repris par les Etats-Unis.

Il existe aussi une explication toute aussi directe et une fois de plus entièrement non marxiste à cette observation sur laquelle les Marxistes insistent toujours, que l'établissement bancaire et industriel figure généralement parmi les défenseurs les plus ardents de la puissance militaire et de l'expansionnisme impérial. Ce n'est pas parce que l'expansion des marchés capitalistes aurait besoin de l'exploitation, mais parce que le développement des affaires privilégiées et protégées par les hommes de l'Etat nécessite que cette protection s'étende aussi aux pays étrangers et qu'ils entravent autant, sinon plus les concurrents non résidents par des acquisitions de propriété non productives et non contractuelles qu'ils ne le font aux concurrents résidents. Spécifiquement, il soutient l'impérialisme s'il promet de conduire à la domination militaire d'un pays par un autre. Car alors, à partir d'une position de force militaire, il devient possible d'établir - ce qu'on peut appeler - un système d'impérialisme monétaire. L'Etat dominant utilisera son pouvoir pour imposer une politique d'inflation internationale coordonnée. Sa propre banque centrale mène le train de la contrefaçon, et les banques centrales des Etats subordonnés reçoivent l'ordre d'employer sa devise comme réserves et de faire de l'inflation sur cette base. De cette manière, en même temps que l'État dominant et en tant que premiers receleurs de la fausse monnaie de réserve, son établissement bancaire et industriel peut se livrer à une expropriation quasi gratuite des propriétaires et producteurs étrangers. Une double couche d'exploiteurs s'impose désormais aux classes exploitées des territoires dominés : en plus de son propre Etat national et de son élite, l'Etat et l'élite d'un pays étranger, ce qui cause une dépendance économique prolongée et une stagnation économique relative vis-à-vis de la nation dominante. C'est cette situation - tout à fait non capitaliste -qui caractérise le statut des Etats-Unis et du Dollar US et qui donne lieu à l'accusation - parfaitement justifiée - d'exploitation et d'impérialisme du dollar par les Etats-Unis.

Finalement, la concentration croissante et la centralisation des pouvoirs d'exploitation conduisent à la stagnation économique et créent par là les conditions objectives de leur chute finale, ainsi que de l'établissement d'une société sans classes capable de produire une prospérité économique inouïe.

Contrairement aux affirmations marxistes, cependant, ceci n'est pas le résultat de lois du développement historique. En fait, il n'existe rien de tel que ces prétendues lois inexorables de l'histoire telles que les Marxistes les imaginent. Il n'y a pas non plus, comme le croyait Marx, de " tendance à la baisse du taux de profit " du fait d'un " accroissement dans la composition organique du capital " (à savoir, un accroissement de la proportion du capital fixe par rapport au capital variable). De même que la théorie de la valeur-travail est irréparablement fausse, c'est aussi le cas de la baisse tendancielle du taux de profit, qui en est déduite. La source de la valeur, de l'intérêt et du profit n'est pas exclusivement la dépense de travail matériel, mais bien plus généralement : l'action humaine, c'est-à-dire l'emploi de ressources rares au service de leurs projets par des gens qui sont contraints par la préférence temporelle et par l'incertitude (la connaissance imparfaite). Il n'y a donc aucune raison de supposer que des changements dans la " composition organique " du capital doivent avoir quelque relation systématique avec des changements dans l'intérêt et le profit.

Ce qui se passe, c'est que l'éventualité des crises qui stimulent le développement d'un plus haut degré de conscience de classe (c'est-à-dire les conditions subjectives d'un renversement de la classe dirigeante) s'accroît à cause - pour employer un terme favori de Marx - de la " dialectique " de l'exploitation que j'ai déjà mentionnée plus haut : l'exploitation détruit la formation du capital. De sorte que, au cours de la concurrence entre firmes exploiteuses, c'est-à-dire des Etats, les moins exploiteuses ou plus libérales tendent à l'emporter sur celles qui le sont davantage parce qu'elles disposent de plus amples ressources. Le processus impérialiste commence donc par avoir un effet relativement libérateur sur les sociétés qui passent sous sa coupe. Un modèle de société relativement plus capitaliste est exporté vers des sociétés relativement moins capitalistes (c'est-à-dire plus exploiteuses). Cela stimule le développement des forces productives, favorise l'intégration économique, établit un véritable marché mondial. La population s'accroît en conséquence, et les espoirs concernant l'avenir économique s'élèvent à des hauteurs inouïes. Cependant, à mesure que la domination exploiteuse raffermit son emprise, disparaissent progressivement les contraintes externes qui limitaient le pouvoir d'exploitation et d'expropriation internes de l'État dominant. L'exploitation interne, l'imposition et la réglementation commencent à s'accroître à mesure que la classe dirigeante se rapproche de son but final de domination mondiale. La stagnation économique s'installe et les espoirs - mondiaux - d'amélioration sont frustrés. Et cette situation : des espérances élevées et une réalité économique qui dément de plus en plus ces attentes, est la situation classique pour qu'un potentiel révolutionnaire se développe. Apparaît alors un besoin désespéré pour des solutions idéologiques à la crise qui s'annonce, en même temps qu'une reconnaissance plus étendue du fait que la domination étatique, l'imposition et la réglementation - loin d'offrir une solution - constituent en fait le problème même qu'il faut surmonter. Si, dans cette situation de stagnation économique, de crises, et de désillusion idéologique, une solution positive est offerte sous la forme d'une philosophie libérale systématique couplée avec son homologue économique : la théorie économique autrichienne ; Si cette idéologie est propagée par un mouvement activiste, alors les perspectives d'un embrasement effectif de ce potentiel révolutionnaire deviennent extraordinairement prometteuses et favorables. Les pressions antiétatiques s'élèveront et induiront une tendance irrésistible au démantèlement du pouvoir de la classe dirigeante et de l'Etat comme instrument de son exploitation.

Si cela se produit, et dans la mesure où cela se fera, cela ne signifiera pas - contrairement au modèle marxiste - la propriété collective des moyens de productions. En fait, la propriété e sociale " n'est pas seulement inefficace comme nous l'ayons vu ; elle est en outre incompatible avec l'idée que " l'Etat "puisse jamais " dépérir ". Car Si les moyens de production sont possédés collectivement, et Si l'on suppose, ce qui est réaliste, que les idées de tout le monde quant à l'emploi de ces moyens ne coïncideront pas toujours (le contraire serait miraculeux), alors ce sont précisément les facteurs de production socialement possédés qui nécessiteront une intervention perpétuelle de l'Etat, c'est-à-dire d'une institution qui puisse par la force imposer la volonté de l'un contre celle d'un autre qui s'y opposerait. Bien au contraire, le dépérissement de l'Etat, et avec lui la fin de l'exploitation et le début de la liberté, ainsi que d'une prospérité économique inouïe, impliquent l'avènement d'une société de pure propriété privée sans autre régulation que celle du droit privé.


Hans-Hermann Hoppe est professeur à l'université de Las Vegas. Journal of libertarian Studies, vol. IX, n°2, autonome 1990. Repris comme chapitre 4 de The Economics and Ethics of Private Property (Boston : Kluwer Academic Publishers, 1993). Traduit et résumé par François Guillaumat.


1. Manifeste du Parti Communiste.

2. On peut quand même souligner que parler de " capitalisme " à propos d'entreprises financées par le vol contredit la définition marxiste du capitalisme comme " système de propriété privée. C'est d'autant plus grave que le marxisme contribue à renforcer cette confusion, sous le même nom de " capitalisme ", du régime de la propriété privée (lequel, par définition, respecte et fait respecter la propriété) et un pouvoir dominé par certains capitalistes, qui ont violé et violent le droit de propriété à leur profit [N.d.T.].

3. Ceci, rappelons-le, suppose un régime purement capitaliste : c'est-à-dire que des voleurs légaux ne viennent pas confisquer chez le capitaliste une partie du salaire du travailleur. Condition fort différente de ce qu'il en est aujourd'hui où les hommes de l'état, dont les exploiteurs capitalistes, amputent de la moitié la rémunération des travailleurs sous prétexte de " sécurité sociale ", " versement transport ", " 1% logement ", etc. Rappelons pour ceux qui ignorent la théorie économique, et notamment la théorie de l'incidence fiscale, que c'est aussi en partie le cas (en dépit de ce que prétend le droit positif) de la TVA, de la taxe professionnelle et même de l'impôt sur les sociétés sans parler des divers contraintes réglementaires qui toutes réduisent le salaire. Par conséquent même si la " plus value " du capitaliste était vraiment exploiteuse, elle serait complètement noyée par l'exploitation socialiste [N.d.T.].

4. L'auteur avait écrit ici : " et sans la préférence du travailleur pour des biens présents, le capitaliste s'en trouverait plus mal, étant forcé de recourir à des méthodes de production moins longues et moins efficaces que celles qu'il désire adopter ". Comme je traduis ce texte pour mes besoins propres, je m'autorise froidement à censurer cette sottise, qui est le contraire de la vérité : bien au contraire. Si par extraordinaire impensable, ce travailleur là n'avait aucune préférence temporelle, le taux d'intérêt sur les marchés du temps serait plus bas : en toute logique, Si l'on peut dire, il serait même nul et la structure de production pourrait être indéfiniment allongée. Car Si Sa préférence temporelle disparaissait, cela voudrait dire que ses propres capitaux matériels seraient surabondants. Il pourrait alors prêter à l'infini au reste de la société, dont la préférence temporelIe disparaîtrait alors à son tour. Si elle disparaissait ainsi, la structure de production serait infinie, etc. C'est dire si cette éventualité est absurde, même Si les économistes néo-classiques l'envisagent comme " possible " et pour certains, " normale " [N.d.T.].

5. L'auteur avait écrit " faire de la contrefaçon ". C'est qu'il Sous-entend que la possibilité de créer de la monnaie serait un privilège d'exemption au droit commun que les hommes de l'Etat accorderaient aux banques, comme moyen de partager le butin de la contrefaçon étatique. En fait, le partage du butin se fait par l'imposition par le monopole d'émission d'une monnaie de Singe produite en quantité excessive, condition qui permet aux banquiers privés de produire â leur tour de la monnaie en excès et facilite la cartellisation du Système bancaire en vue d'exploiter prêteurs et emprunteurs (les hommes de l'Etat reprennent d'ailleurs une partie de ce butin en imposant des réserves obligatoires].. En tant que telle, en revanche, la création de monnaie par les banques est leur fonction normale, et la couverture partielle (en or]. prévaut dans un système de capitalisme propre. Elle est même nécessaire à l'ajustement monétaire à court terme (cf. Georges Selgin : La Théorie de la banque libre, Paris, les Belles Lettres, 1991).

Mis sur intenet par l'ami du laissez-faire.