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Croissance et Concurrence

par Sylvain Gallais

Qu'est-ce que la concurrence ?
Intérêt d'un marché concurrentiel
Rentes et concurrence selon la science économique contemporaine
Économie de marché et état de droit
"On n'a rien sans rien"
L'explication contemporaine de la croissance
L'explication contemporaine des crises
Conclusion


Qu'est-ce que la concurrence ?

L'analyse de la croissance - et par là même des crises économiques - dépend de la définition que l'on donne à l'économie de marché concurrentielle.

Au XVIIIe siècle les économistes libéraux classiques assimilent la concurrence à la liberté dans l'espace, par exemple liberté d'entreprendre, de diminuer ses prix, d'absorber ou d'éclater, et dans le temps, liberté d'innover, d'améliorer, d'imaginer de nouvelles clauses contractuelles : c'est le " laissez-faire, laissez-passer ".

A partir du XIXe siècle, la définition des économistes classiques devient statique : elle tient compte d'un très grand nombre d'entreprises (offreurs> et de consommateurs (demandeurs) sur le marché d'un même bien et de quatre conditions faisant la concurrence " pure et parfaite " : libre entrée, homogénéité du produit, information de tous, mobilité des facteurs capital et travail. A contrario, le monopole est l'état naturel d'un marché Si une ou plusieurs de ces conditions n'y sont pas remplies.

Cette définition de la concurrence se prête bien à la formulation mathématique. Elle implique un très grand nombre d'entreprises petites ou moyennes afin que, selon ces économistes, aucune n exerce de soi-disant effets de domination sur les prix. C'est aussi la définition la plus triviale, la plus répandue chez les non-économistes - y compris les hommes politiques. Elle ignore totalement l'évolution de la nature même des activités dans le temps, de leurs modifications, profondes à long terme, de leurs disparitions ou d'apparitions de nouvelles activités. Le droit dit de la concurrence s'y référe explicitement ! Dès lors, la croissance est entendue comme simplement quantitative : une multiplication des biens et services produits.

Cette définition a encore cours dans la plupart des manuels de sciences économiques des universités françaises - jusqu'au troisième cycle, ou même au doctorat - car elle fait l'objet d'énoncés mathématiques extrêmement sophistiqués, et elle est la base des théories interventionnistes et planificatrices (les mathématiques sont rigoureuses, techniques et sans appel ; ces théories ont toujours les faveurs de tous les hommes politiques de tous pays ; elles fondent les politiques économiques du marché ou de la conjoncture).

En opposition au courant néoclassique s'est développée, à la même période, une conception dynamique du marché. Elle se fonde sur les travaux de l'économiste autrichien Carl Menger et s'est poursuivie au XXe siècle grâce aux écrits de Ludwig von Mises et de Friedrich von Hayek.

Cette école autrichienne considère que les vertus du marché résident dans ses capacités cognitives. Il constitue un mécanisme incomparable de découverte et de transmission de la connaissance au sein d'un univers où l'information est définie comme rare et coûteuse. C'est en ce sens que le marché représente un instrument supérieur de coordination des plans individuels.

Dans les années 1970, William Baumol, néoclassique américain, définit un marché concurrentiel comme un marché contestable (libre entrée et sortie sans coûts). Ainsi, un marché avec un seul producteur est concurrentiel Si la loi n'en n'interdit pas l'entrée à un éventuel compétiteur. Par conséquent, le producteur seul sur un marché non-protégé pratique des prix de concurrence inférieurs à des prix de monopole, afin de ne pas attirer les compétiteurs et de ne pas leur assurer automatiquement une marge. Mais cela ne le couvre pas contre l'innovation (amélioration du produit ou substitut proche, autres caractéristiques, meilleure gestion ou distribution). Dans cette définition, il s'est surtout agi de réintroduire le temps, car concurrencer consomme de la matière grise, des ressources financières et du risque, donc du temps.

Dans les années 1980, pour les " nouveaux " économistes, le temps est totalement réintégré dans la définition ; réapparaît la notion dite " autrichienne "du marché comme processus de découverte selon la formule d'Hayek. La concurrence n'est alors qu'innovations, l'imagination est au pouvoir en tout domaine d'activité, dans l'entreprise comme entre entreprises.

" La concurrence est une succession de rentes éphémères non protégées." Plus le renouvellement des rentes est rapide, plus vive est la concurrence.

Rappelons que, par rente, on entend un avantage relatif propre à une personne ou à une unité de décision comme l'entreprise. Moins il y a de gens qui disposent de cet avantage, plus la rente présente d'intérêt.

Intérêt d'un marché concurrentiel

- Pour les économistes néoclassiques orthodoxes, c'est l'optimum social. Ils ont montré mathématiquement, en effet, que leur modèle de la concurrence pure et parfaite correspond à un optimum social. Or, aucun marché n'est conforme à ce modèle. Ils concluent qu'il faut donc forcer la réalité à entrer dans ce moule idéal. Deux voies s'ouvrent entre 1920 et 1940 :
- l'intervention sur les marchés (contrôle des prix, fiscalité, tutelle étatique), afin de ramener prix et quantités aux valeurs qu'ils prendraient en concurrence pure et parfaite.
- la planification, qui permet d'imposer les prix et quantités qui seraient ceux de la concurrence pure et parfaite. S'y grefferont plus tard les théories et politiques "macroéconomiques".

En outre : la croissance qui, pour eux, est quantitative et non qualitative, peut donc être gérée par l'Etat ou le planificateur. Ce qui, tout en attribuant à l'économiste une sorte de monopole incontournable de spécialiste, fournit un alibi supplémentaire à l'extension de l'activité de l'État de son pouvoir réglementaire et de la fiscalité. Les économistes sont en grande partie responsables du fait que l'immense majorité des gens croient que l'homme peut maîtriser l'économie alors que c'est l'économie qui impose, en fait, ses lois aux hommes. Ils ont laissés croire à l'efficacité de leurs politiques économiques.
La vision statique néoclassique de la concurrence par les prix a la vie dure ; la plupart des gens y adhèrent aujourd'hui ; les médias l'entretiennent, les hommes d'Etat la favorisent (voir les programmes officiels des lycées et universités en France).
- Pour les économistes contemporains, c'est la prospérité et la croissance économiques.

La concurrence pure et parfaite est effectivement un " modèle de papier ", une idéologie ou " fausse science ", un " concept invalide ", vide ; ses conditions sont " théoriques " ; elles ne décrivent pas la réalité.

En revanche, l'intérêt de la concurrence définie comme une succession d'innovation ou de rentes, concurrençables est double :
- elle oblige à étudier la nature des institutions (en particulier le droit) qui produisent les marchés concurrentiels.
- elle produit l'explication et la théorie la plus universelle de la croissance économique et des crises.

Rentes et concurrence selon la science économique contemporaine

Il y a deux sources de rentes : spontanées et instituées. Les rentes concurrençables présentent un intérêt fondamental dans la vie en société.
Le profit est une rente. Pour l'entreprise en concurrence, il est rémunération du risque, alors que l'on considère que les capitaux propres sont rémunérés au taux des capitaux empruntés - Si la valeur ajoutée le permet ! Mais pour l'entreprise protégée, il est simple privilège (priva lex). Il y a donc deux espèces de rentes, synonymes de profits pour l'entreprise.
Dans tous les cas, la rente résulte de la différence réalisée entre le prix moyen du marché et le coût moyen de l'entreprise.

Alors que la rente-risque prend sa source dans l'innovation et elle est rarement à l'abri des concurrents ; la rente-privilège doit son existence au monopole.
L'innovation est fille de l'imagination, de la vie en société. Dans tout groupe humain, régi par le droit, chacun vit d'autant mieux qu'il peut offrir aux autres ce qu'ils désirent, quitte à susciter ce désir. En outre, plus nous sommes nombreux et plus souvent nous pouvons découvrir de nouvelles opportunités d'améliorer notre sort : c'est la catallaxie, ce qui explique les concentrations industrielles ou commerciales, les centres, les galeries. L'imagination permet de concrétiser des opportunités de profit. Bien sûr, il y a souvent prise de risque, mais ceux qui aiment le risque sont motivés par l'espoir d'une rente d'autant plus élevée que le risque est élevé.
En revanche, le monopole est le fait du législateur ou de la réglementation gouvernementale, nationale, locale, ou européenne. Aujourd'hui, dans la plupart des pays développés, c'est-à-dire à économie de marché, toutes les activités sont protégées dans une mesure plus ou moins grande. C'est la " réglementation " produite par ce qu'on appelle aujourd'hui le " marché politique ".

Il est à noter que le concept de rente s'applique aussi, et même avant tout, aux personnes physiques (rente du salarié consciencieux, expérimenté, diplômé ; rente d'une profession libérale, d'un artisan innovateur, d'un notaire, d'un fonctionnaire) en clair à toute personne en activité.
Les rentes concurrençables ou spontanées procèdent toujours de l'innovation, jamais d'une protection légale.

Une entreprise innove de deux façons : extérieurement et intérieurement. L'innovation extérieure est la création d'un nouveau produit (magnétoscope, laverie automatique, nouvelle technique de recouvrement), de nouvelles caractéristiques pour un produit (accueil du client, vitrine, localisation, rapidité et efficacité, relations personnelles, service après vente, crédit), une meilleure publicité. L'innovation intérieure est celle des coûts directs et indirects plus faibles, de meilleure motivation des personnes, des relations entre personnes et hiérarchies, du rendement amélioré des actifs en général.

La baisse des prix est la seule manifestation de la concurrence selon la définition néoclassique, sur un marché où les produits sont peu différenciés. L'innovation en est absente. En revanche, l'innovation est la seule manifestation de la concurrence selon la définition contemporaine. La baisse des prix ne peut donc y résulter que de phénomènes d'imitation pure quant au produit, assortie d'une meilleure gestion.

Comment évolue une économie où les rentes sont libres? Chaque rente est vouée à disparaître, d'autant plus rapidement que la concurrence est vive :
- une entreprise rentable (innovation sur le produit ou sur la gestion) attire l'imitation ou l'amélioration ; l'offre se développe et le prix baisse.
- l'entreprise détentrice d'une rente tente de la protéger par des brevets, et voit ses coûts augmenter ;
- peu à peu la rente disparaît et ce qui apparaît c'est la nécessité de la renouveler.

En conclusion, c'est la recherche des rentes qui est la seule source de création de la valeur et donc de sa croissance.

Économie de marché et état de droit

L'économie de marché ne se développe que dans un cadre juridique extrêmement contraignant. De plus, l'universalité du droit et le caractère anonyme de la loi assure à chacun les mêmes droits et obligations : c'est la concurrence. Enfin, le respect des promesses ou contrats motive la multiplication des échanges. L'économie n'est qu'échanges. Or, ce qui est échangé sur un marché, ce sont des droits de propriété sur des biens ou des services. Et plus l'inégalité en droit est grande, moins il y a de marché.

L'analyse économique contemporaine révèle les caractéristiques des droits de propriété dans une économie de marché, ils sont :
- personnels, c'est-à-dire subjectifs,
- exclusifs, c'est-à-dire absolus,
- transférables, c'est-à-dire cessibles,
- définis par la loi, la coutume, la jurisprudence, les contrats,
- renforcés par la police, la justice, les individus eux-mêmes.

C'est le droit romain du Code Civil. Il est analysé comme réduisant efficacement les coûts de transaction. C'est en fait tout ce que ne sont pas les nouveaux droits économiques et sociaux dits "positifs" qui consacrent le nouveau principe en usage dans nos sociétés modernes : "Tu gagneras ton pain à la sueur du front de ton voisin."

"On n'a rien sans rien"

Il n'y a pas de génération d'économistes où l'on n'ait pas proposé une nouvelle théorie de la croissance et toujours en termes techniques : la part du capital, celle du travail, le rôle du progrès technique.
Aujourd'hui, la science économique est différente. Elle n'est plus technique de la gestion publique, mais étude des comportements et des motivations, donc des institutions et règles constitutives du cadre juridique. L'être humain y est remis à sa juste place. Elle a connu depuis 20 ans une véritable révolution qui n'est pas encore enseignée dans les lycées et la plupart des universités françaises.

L'explication contemporaine de la croissance

On oppose croissance économique et crise économique. Mais l'une et l'autre représentent une accélération dans les ajustements des comportements des individus. Chacune est, en quelque sorte, une révolution dans les usages, les activités, les modes de pensée et de comportement, les relations contractuelles, par rapport à une conjoncture stable ou de faible croissance.

Il n'y a pas de moyen autre de générer la croissance économique que de motiver les individus en ce sens. Or, la concurrence est à cela la condition nécessaire et suffisante. Chacun, en poursuivant son seul intérêt personnel, participe, probablement sans le savoir, à la prospérité générale et à la croissance. La concurrence a pu, pour cette raison, être assimilée à la croissance économique.

Le moteur unique en est la précarité des réussites et, en général, de toute situation individuelle rentable. Les revenus, les satisfactions, les avantages sont obtenus individuellement. Ainsi, chacun y gagne son pain à la sueur de son front. En amont de la concurrence, l'égalité en droit et le respect rigoureux de ce droit suffisent à la concurrence. La nécessité permanente de se renouveler produit collectivement le " cercle vertueux " de la croissance. Chacun, dans l'égalité en droit, est responsable de ses propres actions. Economiquement, le gain individuel de la précarité des rentes est en moyenne bien plus grand que le coût qu'elle engendre. Ainsi, la valeur ajoutée est chaque année plus importante. Tout le monde y gagne a priori.

En résumé, plus le renouvellement des rentes est rapide, plus vite augmentent les niveaux de vie.

L'explication contemporaine des crises

Une crise est, en fait, une croissance négative, elle aussi " accélérée ". Ses conditions d'apparition sont évidemment les conditions inversées de la croissance : multiplication des rentes non-concurrençables. Il y a crise quand l'effet de l'accumulation des rentes non-concurrençables, essentiellement les réglementations professionnelles, l'emporte sur celui de la libre innovation. Il n'existe pas de fatalité.

Les réglementations professionnelles démotivent la prise de risque, l'innovation, l'investissement, et raccourcissent les horizons décisionnels ; la France a un solde net de création d'entreprises quasiment nul, donc une valeur ajoutée stagnante ; donc un taux de chômage croissant ; les PME produisant proportionnellement aux grandes entreprises plus de valeur ajoutée et d'emplois, quand une entreprise est créée, c'est très généralement une PME.

Les réglementations des contrats et conditions de travail démotivent l'embauche ainsi que l'amélioration de sa qualification par le salarié. Par exemple, toute augmentation du SMIC produit X chômeurs supplémentaires. En 1992, la France a perdu 133 000 emplois salarié et gagné 130 000 chômeurs. Depuis 1989, le taux de croissance du " Produit Intérieur Brut " est passé progressivement de 4,5 % à moins de l %.

Les déficits publics sont, en somme, des rentes auxquelles n'ont pas eu droit les individus ni les entreprises. Ils assèchent le marché financier et augmentent la charge de la dette publique (13 % du budget en France). Les budgets sociaux et ceux des collectivités locales sont explosifs, car ni leur expansion ni leur déficit ne sont sanctionnable. Leurs gestionnaires sont des tuteurs titulaires de rentes dites " politico-légales ".

Conclusion

L'Économie est ce que sont les institutions ; le marché est ce qu'est le droit. Réglementations, droits économiques et sociaux, protections, État-Providence, voilà autant d'exemples de rentes !

C'est l'État, plus exactement le législateur, qui crée les conditions des crises économiques. Il faudrait donc réduire le pouvoir de modifier la loi et le poids des règlements de manière draconienne. On supprimerait ainsi les déficits publics et l'obligation de voter des impôts nouveaux. Sinon, il faut accepter le prix à payer : la fin de la croissance, le chômage, et aussi les troubles sociaux qui en résultent.

Mis sur intenet par l'ami du laissez-faire.